C E D R E G I

LE  CANON  519  CIC

Le curé, les laïcs et la charge pastorale de la paroisse



Introduction



Lors d’une réunion du conseil presbytéral d’un diocèse, l’un des participants a tenu des propos, qui ont suscité une controverse, sur les laïcs et la charge pastorale de la paroisse. Ce prêtre disait s’appuyer sur le canon 519 du Code de Droit canonique.


Un des membres du conseil presbytéral a demandé son avis à l’un de ses amis, curé dans un autre diocèse, qui, à son tour, a soumis la question au CEDREGI(1) en le priant d’y répondre par un bref commentaire.


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Tout d’abord, que dit le c. 519, dans son texte latin et dans sa traduction française officielle ?


C. 519, texte latin :


Parochus est pastor proprius paroeciae sibi commissae, cura pastorali communitatis sibi concreditae fungens sub auctoritate Episcopi dioecesani, cuius in partem ministerii Christi vocatus est, ut pro eadem communitate munera exsequatur docendi, sanctificandi et regendi, cooperantibus etiam aliis presbyteris vel diaconis atque operam conferentibus christifidelibus laicis, ad normam iuris.


C. 519, traduction française officielle :


Le curé est le pasteur propre de la paroisse qui lui est remise en exerçant, sous l’autorité de l’Evêque diocésain dont il a été appelé à partager le ministère du Christ, la charge pastorale de la communauté qui lui est confiée, afin d’accomplir pour cette communauté les fonctions d’enseigner, de sanctifier et de gouverner, avec la collaboration éventuelle d’autres prêtres ou de diacres, et avec l’aide apportée par des laïcs, selon le droit.


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Quelle est maintenant la thèse soutenue au conseil presbytéral ?


1. Le c. 159 permet de constituer dans les paroisses des équipes d’animation pastorale de prêtres et de laïcs pour assumer ensemble la charge pastorale paroissiale.

2. Le curé n’a pas seul la charge pastorale paroissiale.

3. Les laïcs des EAP participent vraiment à la charge pastorale du curé, parce qu’ils n’apportent pas seulement leur aide, mais parce qu’ils exercent avec le curé une unique charge.

4. La traduction française de « operam conferentibus » (fin du canon) n’est pas bonne, car « opera conferre » veut dire « porter le fardeau » et donc les laïcs des EAP non seulement participent à la même charge du curé, mais bien mieux ils exercent avec lui une unique charge.


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La réponse à cette thèse se fera en trois étapes :


1. Examen de la traduction officielle du c. 519 et de la traduction de certains termes faite par l’auteur de la thèse ;

2. Examen du Code ;

3. Examen de la doctrine de l’Église sur le curé et les laïcs.

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I.  TRADUCTION  DU  C.  519


A. ETIAM (fin du c. 519)


1. « Etiam » ne signifie pas « éventuellement », comme l’écrit la traduction officielle, mais « encore », « même », « et même »,  « aussi », « de plus ».(2)


« Cooperantibus etiam presbyteris » se traduit littéralement « et aussi avec la collaboration de prêtres », ou « et même avec la collaboration de prêtres ». Le mot « éventuellement » est une interprétation, une adaptation, qui n’est pas mauvaise sur le fond, mais qui reste un faux-sens.


2. Par ailleurs « etiam » se rapporte uniquement aux prêtres et diacres, ce que montre le « atque » (« et ») du membre de phrase relatif aux laïcs. On a en effet deux membres de phrase, qui ne se confondent pas, l’un sur la coopération des prêtres, l’autre sur le rôle spécifique des laïcs.


Cette construction de la phrase latine – et ce n’est pas une subtilité inutile, mais une remarque à ne pas négliger - montre déjà qu’il y a une différence entre ce que peuvent faire les prêtres et ce qui revient aux laïcs.


B. OPERAM CONFERENTIBUS


Cette expression vise le travail des laïcs dans une paroisse.


1. « Opera » ne signifie pas charge, mais : travail (manuel), activité, ouvrage, occupation ; ou encore service, aide, concours ; ou encore acte, soin, attention.

Dare operam alicui = agir pour quelqu’un, aider quelqu’un, rendre service à quelqu’un.


2. « Conferre » signifie : apporter ensemble, rassembler, porter, fournir, donner.

Bref, « operam conferentibus » signifie : (les laïcs) rendant service (au curé, pasteur propre de la paroisse).

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II.  LE  CODE  DE  DROIT  CANONIQUE


Le Code de droit canonique ne connaît pas les EAP (Équipes d’animation pastorale) ni les ECP (Équipes de Conduite de la paroisse) ni d’autres équipes actuellement constituées dans les paroisses. Il ne connaît que le Conseil Pastoral de paroisse (c. 536) et le Conseil Économique de paroisse (c. 537).



A. LE CURÉ, LA CHARGE PASTORALE ET LES CONSEILS PAROISSIAUX


1. C. 515 § 1 : « La paroisse est la communauté précise de fidèles qui est constituée d’une manière stable dans l’Eglise particulière, et dont la charge pastorale est confiée au curé, comme à son pasteur propre, sous l’autorité de l’Evêque diocésain » (cf. c. 519, c. 517 § 1).


2. C. 536 § 1 : « Si l’évêque diocésain le juge opportun […], un conseil pastoral sera constitué dans chaque paroisse, présidé par le curé et dans lequel, en union avec ceux qui participent en raison de leur office à la charge de la paroisse, les fidèles apporteront leur concours (« suum adjutorium praestent ») pour favoriser l’activité paroissiale ».


3. Même si l’on considère parfois que certains laïcs ont reçu un office, celui-ci étant, selon le c. 145 § 1, « toute charge constituée de façon stable par disposition divine ou ecclésiastique pour être exercée en vue d’une fin spirituelle », ces laïcs participent à la charge de la paroisse, mais ils ne reçoivent pas cette charge, qui est confiée au curé (cf. c. 515 § 1, cité plus haut).


Même les vicaires paroissiaux qui apportent au curé leur concours dans le ministère paroissial n’ont pas la charge pastorale de la paroisse, ils sont coopérateurs du curé et ils exercent leur mission sous l’autorité de celui-ci (c. 545 § 1).


4. C. 536 § 2 : « Le conseil pastoral (de la paroisse) ne possède que voix consultative et il est régi par les règles que l’Evêque diocésain aura établies ».


A propos des règles établies par l’Evêque diocésain, le c. 392 § 1 prescrit : « Parce qu’il doit défendre l’unité de l’Église tout entière, l’Evêque est tenu de promouvoir la discipline commune à toute l’Église et en conséquence il est tenu d’urger l’observation de toutes les lois ecclésiastiques ». Le droit diocésain ne peut aller contre le droit général et, en particulier, un évêque ne peut pas donner au conseil pastoral d’une paroisse une voie délibérative.


5. Le Conseil pour les affaires économiques est obligatoire dans chaque paroisse. « Dans ce conseil, des fidèles, choisis selon les règles (établies par l’Evêque), apporteront leur aide au curé (« adjutorio sint »)  pour l’administration des biens de la paroisse » (c. 537)



B. LES FIDÈLES LAïCS


C. 129 § 1 : « Au pouvoir de gouvernement dans l’Église (potestas regiminis) […] sont aptes […] ceux qui ont reçu l’ordre sacré ».

C. 129 § 2 : « A l’exercice de ce pouvoir, les fidèles laïcs peuvent coopérer selon le droit ». Ils n’ont pas le pouvoir de gouvernement, comme le curé peut l’avoir selon les dispositions législatives de l’Église,  ils coopèrent seulement à l’exercice de ce pouvoir.


Les réflexions ci-dessus exprimées sont essentiellement d’ordre juridique, mais le droit de l’Église est fondé sur la théologie et plus spécialement, dans le domaine qui nous occupe, sur l’ecclésiologie. Il faut donc nous tourner maintenant vers les enseignements du Concile Vatican II.

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III. LE CONCILE VATICAN II



          Nombreux sont les textes conciliaires concernant les laïcs. Ils se trouvent surtout dans la Constitution dogmatique sur l’Église « Lumen Gentium », la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps « Gaudium et Spes », le Décret sur le ministère et la vie des prêtres « Presbyterorum ordinis », le Décret sur l’apostolat des laïcs « Apostolicam actuositatem ».


Il est impossible évidemment de citer ici tous ces textes. Seuls seront transcrits ceux qui se rapportent – directement ou indirectement – au rôle des laïcs dans la charge pastorale paroissiale, et l’on n’oubliera pas, en les lisant, cet avertissement du Décret sur les laïcs : « La révision du droit canonique concernant l’apostolat des laïcs devra prendre pour règle ce qui est contenu dans ce décret » (n° 1).


1. Lumen Gentium


« Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu’ils diffèrent entre eux d’essence, et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l’un à l’autre ; car l’un et l’autre participent, chacun d’une façon particulière, à l’unique sacerdoce du Christ » (n° 10).


« La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu » (n° 31).


« La différence même que le Seigneur a mise entre les ministres sacrés et le reste du peuple de Dieu comporte en soi union, étant donné que les pasteurs et les autres fidèles se trouvent liés les uns aux autres par une communauté de rapports : aux pasteurs de l’Eglise […] d’être au service les uns des autres et au service des autres fidèles ; à ceux-ci de leur côté d’apporter aux pasteurs et aux docteurs le concours empressé de leur aide (sociam operam praestent) » (n° 32).


« Les laïcs peuvent […] de diverses manières, être appelés à coopérer plus immédia-tement avec l’apostolat hiérarchique […]. En outre, ils ont en eux une aptitude à être assu-més par la hiérarchie en vue de certaines fonctions ecclésiastiques à but spirituel » (n° 33).


« Les pasteurs […] doivent reconnaître et promouvoir la dignité et la responsabilité des laïcs dans l’Eglise » (n° 38).


2. Gaudium et Spes


Cette constitution pastorale exhorte vivement les laïcs à œuvrer dans tous les domaines de la vie familiale, sociale, politique, internationale, mais leur rôle dans la charge pastorale paroissiale n’est pas abordé.


3. Le Décret sur le ministère et la vie des prêtres


« Exerçant, pour la part d’autorité qui est la leur, la charge du Christ Chef et Pasteur, les prêtres […], pour exercer (leur) ministère […], reçoivent un pouvoir spirituel, qui leur est donné pour construire l’Église » (n° 6).


« Le sacrement de l’Ordre confère aux prêtres de la Nouvelle Alliance une fonction éminente et indispensable dans et pour le peuple de Dieu, celle de pères et de docteurs […] Les prêtres ont à reconnaître sincèrement et à faire progresser la dignité des laïcs et leur rôle propre dans la mission de l’Église […]. Il faut également avoir assez de confiance dans les laïcs pour leur remettre des charges au service de l’Église, leur laissant la liberté et la marge d’action, bien plus, en les invitant, quand l’occasion se présente, à prendre d’eux-mêmes des initiatives » (n° 9).


4. Le Décret sur l’apostolat des laïcs


« Dans ce décret le Concile se propose d’éclairer la nature de l’apostolat des laïcs, son caractère et sa variété, d’en énoncer les principes fondamentaux et de donner des directives pastorales pour qu’il s’exerce plus efficacement. La révision du droit canonique concernant l’apostolat des laïcs devra prendre pour règle ce qui est contenu dans ce Décret » (n° 1).


« Il y a dans l’Église diversité de ministères, mais unité de mission […]. Les laïcs rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ assument, dans l’Église et dans le monde, leur part dans ce qui est la mission du peuple de Dieu tout entier » (n° 2).


« Que les laïcs prennent l’habitude de travailler dans la paroisse en étroite union avec leurs prêtres […]. Selon leurs possibilités, ils apporteront leur concours (operam navare) à toute entreprise apostolique et missionnaire de leur famille ecclésiale » (n° 10).


« Il arrive que la hiérarchie confie aux laïcs certaines charges touchant de plus près aux devoirs des pasteurs : dans l’enseignement de la doctrine chrétienne, par exemple, dans certains actes liturgiques et dans le soin des âmes. Par cette mission, les laïcs sont pleinement soumis à la direction du supérieur ecclésiastique pour l’exercice de ces charges (n° 24).


5. Remarques sur ces textes conciliaires


Il est clairement dit dans ces texte que :


- Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel diffèrent entre eux d’essence, et non seulement de degré.


- La vocation propre des laïcs consiste à chercher le règne de Dieu dans la gérance des choses temporelles.


- Les laïcs sont invités à apporter leur aide aux pasteurs.


- Les prêtres, par le sacrement de l’Ordre, reçoivent un pouvoir spirituel (sacra potestas).


- Les prêtres sont invités à remettre aux laïcs des charges au service de l’Église.


- Dans l’exercice de ces charges, les laïcs sont pleinement soumis à la hiérarchie ecclésiastique.



            Il est temps maintenant de conclure, non sans regretter de ne pouvoir présenter les pages remarquables du Père Thierry Blot dans son ouvrage sur « Le curé, pasteur – Étude historique et juridique » (Téqui, 2001, cf. surtout p. 286-299).


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RÉPONSE  À  LA  THÈSE  CONTROVERSÉE



- Les laïcs n’exercent pas avec le curé une unique charge.


- Revêtu de la sacra potestas, le curé reçoit seul la charge pastorale paroissiale, à laquelle peuvent cependant participer les laïcs, mais sous l’autorité du curé.


- Le curé et les laïcs n’assument pas ensemble la charge pastorale paroissiale, c’est le curé qui l’assume. Les laïcs y participent, en apportant leur aide au curé, pasteur propre de la paroisse qui lui est confiée.



Jacques Gressier

CEDREGI

25 mars 2012


 (1) Centre d’Études du Droit Régiminal ; http://www.droit-regiminal.com

 (2) Voir le dictionnaire latin numérique regroupant les dictionnaires classiques de Quicherat, Gaffiot etc.,

       à l’adresse suivante : http://www.prima-elementa.fr/Dico.htm


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