C E D R E G I

Finalement quelques personnes de cette communauté, épuisées physiquement et moralement, quittent la communauté, considérées dès lors comme des « femmes désobéissantes et insoumises ». A plusieurs reprises trois d’entre elles font appel à leur évêque qui, cinq ans après leur départ de leur communauté, ordonne une enquête préalable, conformément au c. 1717, et décrète à la suite de celle-ci qu’un procès pénal judiciaire doit être engagé. Les trois communautaires exercent alors, conjointement à ce procès pénal, une action contentieuse pour obtenir une réparation morale des dommages qu’elles ont subis par suite des abus de pouvoir du prêtre, ceux-ci constituant l’un des délits pour lesquels il est accusé par le promoteur de justice (cf. c. 1729 § 1).


En première instance, le prêtre invoque la prescription des faits, mais le Tribunal, s’appuyant sur le c. 1362 § 2, estime que ceux-ci font partie d’un délit habituel et qu’ils ne sont donc pas frappés de prescription. Il déclare enfin le prêtre coupable, entre autres, d’abus de pouvoir.


Le Tribunal d’appel cependant en juge autrement. Sans se livrer à un examen de la nature et des conditions de la prescription, il énonce que dans cette cause il n’y a ni délit habituel ni délit permanent et il infirme le dispositif de la sentence de première instance.


La cause est actuellement en cours devant le Tribunal Apostolique de la Rote Romaine.


EN DROIT, un certain nombre de problèmes se posent au sujet de la prescription, non seulement dans cette affaire particulière, mais dans toutes les causes pénales canoniques :


1° La prescription de l’action pénale éteint-elle l’action contentieuse née du délit et jointe à l’action pénale ?


2° Qu’est-ce qu’un délit permanent, ou habituel, un délit continu, un délit successif ?


3° La qualification d’une infraction a-t-elle des conséquences pour la prescription de celle-ci ?


4° Un délit non prescrit peut-il rejaillir sur des délits connexes prescrits et supprimer leur prescription ?


5° Les lenteurs de l’autorité ecclésiastique face à des délits qui lui sont signifiés mais dont elle ne tient pas compte, ce qui entraîne un dépassement du délai de prescription, peuvent-elles être un obstacle suffisant pour interdire cette prescription ?


Pour répondre à ces questions, que ne résolvent pas les canons 1362 et 1729, et en l’absence (sauf erreur) de toute jurisprudence rotale publiée depuis 1983 comme d’études doctrinales approfondies, en France tout au moins, il n’est pas inutile de présenter d’abord les règles du droit pénal français en la matière. Certes ces règles ne s’appliquent pas en droit canonique, mais elles donneront déjà un éclairage non négligeable. Par ailleurs, sans préjudice du précepte du c. 19 du code actuel, il sera indispensable de revoir les normes qui étaient en vigueur sous le régime du code de 1917, avec l’aide incontournable du Cardinal Lega, dans son Commentarius in Judicia ecclesiastica.[1] Enfin un essai de synthèse sur les problèmes de la prescription, avec leur application dans la cause pénale évoquée ci-dessus, permettra de présenter – de nouveau, salva reverentia – des propositions en vue de la réforme annoncée du droit pénal canonique.


§ 1 - LA PRESCRIPTION DE L’ACTION PÉNALE ÉTEINT-ELLE L’ACTION CONTENTIEUSE JOINTE ?


A.  LE  DROIT  FRANÇAIS [2]


Comme tout juriste le sait, la prescription de l’action publique est le principe selon lequel l’écoulement d’un délai entraîne l’extinction de l’action publique et rend de ce fait toute poursuite impossible. L’auteur d’une infraction ne pourra plus être poursuivi.


L’extinction de l’action publique par la prescription concerne l’ensemble des faits, tant principaux que connexes.


Les délais de prescription sont différents suivant la nature de l’infraction : pour un crime, dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite ; trois années pour un délit, une année pour une contravention, sauf acte d’instruction ou de poursuite dans cet intervalle.


L’écoulement du délai de prescription se trouve comme mis en sommeil quand la partie poursuivante se heurte à un obstacle de droit ou de fait qui paralyse l’exercice de l’action publique. Il recommence à s’écouler, au point où il en était, dès que l’obstacle a disparu.


En ce qui concerne la prescription de l’action civile, le droit français prévoit que lorsque l’action en réparation civile est exercée devant les tribunaux répressifs, elle suit de manière générale les règles de prescription de l’action publique, avec quelques particularités. La prescription commune des deux actions est d’ordre public quand elles sont portées ensemble devant le juge pénal.


B.  LE DROIT  CANONIQUE  DU  CODE  DE  1917


1. Le Code pio-bénédictin


Le c. 1703 fixe différents délais pour la prescription. En ce qui concerne les effets de la prescription de l’action criminelle, le code de 1917 se démarque fortement du droit français puisque le c. 1704 énonce : « Lorsque l’action criminelle est supprimée par la prescription, 1° ce n’est pas pour autant qu’est supprimée l’action contentieuse, éventuellement née du délit, en vue de réparer les dommages » (le 2° concerne le cas d’un prêtre dont le délit, prescrit, n’avait pas entraîné une action contentieuse).


2. Le cardinal Lega


« Nous n’affirmons pas de façon absolue que la prescription de l’action pénale n’éteint pas l’action contentieuse, ou civile, provenant éventuellement du délit, et nous pensons que cette thèse est tout à fait exacte surtout en raison du droit du nouveau code [1917], qui statue au c. 1704 que par la prescription de l’action criminelle n’est pas éteinte par le fait même l’action contentieuse éventuellement née du délit […]. Que cette règle soit parfaitement conforme à l’équité canonique ressort de la nature différente de l’action criminelle et de l’action contentieuse en vue de l’indemnité. Car une fois prescrite l’action criminelle pour la poursuite du crime, il reste par elle-même la cause de la réparation du dommage privé et il n’est pas équitable de ne pas porter attention à ce dommage ».[3]


C.  LE  CODE  DE  1983


Canon 1362 § 2 : « La prescription commence à courir du jour où le délit a été commis, ou bien si le délit est permanent ou habituel, du jour où il a cessé ».


Canon 1729 § 1 : « La partie lésée peut exercer une action contentieuse au pénal pour obtenir la réparation des dommages qu’elle a subis par suite du délit, selon le c. 1596 » (le c. 1596 porte sur l’intervention de tiers dans la cause).


Canon 1729 § 2 : « L’intervention de la partie lésée dont il s’agit au § 1 n’est plus admise si elle n’a pas été faite au premier degré du jugement pénal ».



Conclusion du § I : Le droit pénal canonique actuel ne répond pas à la première question posée : La prescription de l’action pénale éteint-elle l’action contentieuse née du délit et jointe à l’action pénale ?




§ 2 – QU’EST-CE  QU’UN  DÉLIT  PERMANENT  OU  HABITUEL,  UN  DÉLIT  CONTINU,  UN  DÉLIT  SUCCESSIF ?


A.  LE  DROIT  FRANÇAIS


1. Une infraction est permanente lorsqu’elle résulte d’un acte qui est unique dans sa réalisation, mais dont les effets se prolongent dans le temps. Il en est ainsi du délit de bigamie. Son régime est celui des délits instantanés.


Par ailleurs certains auteurs, après avoir fait remarquer que la distinction entre infractions instantanées et infractions continues a été compliquée par la doctrine avec la création d’une troisième catégorie, l’infraction permanente, en précisent la notion. L’infraction permanente est une infraction instantanée dont les effets se prolongent dans le temps de manière obligée, ce qui la différencie de l’action continue successive, qui implique un renouvellement constant de la volonté délictueuse.


D’après la jurisprudence – autre précision -, une infraction est permanente lorsque ses conséquences se prolongent par la seule force des choses, sans renouvellement de la volonté de son auteur.


2. Une infraction est dite continue lorsqu’elle résulte d’une activité qui se prolonge dans le temps et qui marque concrètement la persistance d’une intention délictueuse (tel est le cas du délit d’édification d’un bâtiment sans permis de construire, qui se prolonge pendant toute la durée des travaux).


3. Selon la jurisprudence, une infraction est successive lorsqu’elle se renouvelle par une réitération de la volonté de son auteur.


4. Le délai de prescription varie suivant qu’il s’agit d’une infraction simple, ou continue, ou permanente, d’où l’intérêt de la distinction de ces notions.


B.  LE  DROIT  CANONIQUE  DU  CODE  DE  1917


1. Le Code pio-bénédictin


Canon 1705 § 1 : « La prescription dans les affaires contentieuses court à partir du moment où l’action est proposée en droit ; dans les affaires criminelles, à partir du jour où le délit a été commis ».


Canon 1705 § 2 : « Si le délit a ce qu’on appelle un déroulement successif, la prescription ne court pas, sinon à partir du jour où le déroulement du délit a cessé ».


Canon 1705 § 3 : « Dans le délit habituel ou continu la prescription ne court pas, sinon après le dernier acte ; et le prévenu, en raison d’un acte criminel non prescrit, est tenu des actes antérieurs qui sont connexes au même acte, même si ces actes pris isolément seraient exclus par suite de la prescription ».


Ce que le canon 1705 § 3 appelle « délit habituel ou continu » est ce que la jurisprudence française qualifierait d’« infraction  continue successive ». Le sens des termes employés est important en ce qui concerne la prescription et la connexion des actes incriminés.





2. Le cardinal Lega


Sont appelés permanents les délits qui persévèrent dans leur accomplissement tant que le délinquant ne renonce pas à les accomplir.


Selon le cardinal Lega, assez difficile est la notion du délit continu ou continué, en ce qu’elle se distingue du délit habituel, c’est-à-dire du délit qui a un développement successif, ou en d’autres termes du délit permanent.


Le délit continué ne doit pas être confondu avec une succession de délits que constituent des violations répétées de la loi, il faut qu’il y ait entre ces délits une connexion, en laquelle se fonde la continuité pour que le délit soit considéré comme continué.[4]


C.  LE  CODE  DE  1983


Canon 1362 § 2 : « La prescription commence à courir du jour où le délit a été commis, ou bien si le délit est permanent ou habituel, du jour où il a cessé ».


Le commentaire du Code de Droit canonique bilingue et annoté, de l’Université de Navarre et de l’Université Saint-Paul, donne la note suivante, qui malheureusement augmente la confusion entre les notions de délit continu, continué, habituel, permanent, évoquées plus haut.


« § 2 Les divisions du délit sont, entre autres :

1. Délit simple, quand il y a unité entre l’action et la loi enfreinte ;

2. Délit complexe, s’il y a plurité d’actions et une unité de la loi enfreinte ;

3. Délit collectif, qui se subdivise à son tour en

i) délit continu, si les actions sont distinctes mais homogènes et successives (cf. c. 1371, 1° et 1373) ;

ii) délit permanent, si l’action délictueuse est ininterrompue, ce qui maintient volontairement la situation antijuridique créée (cf. c. 1366 et 1371, 2°) ;

iii) délit habituel, si le comportement habituel du délinquant dans des actions antijuridiques répétées est envisagé par la loi comme un seul délit (cf. c. 1392) ».


Conclusion du § 2 : Lorsque le c. 1362 § 2 CIC 1983 parle de délit permanent ou habituel, comment faut-il interpréter ces termes ? Selon le code de 1917, ou selon le cardinal Lega, ou selon le commentaire de l’Université de Navarre, ou encore en recourant, avec les précautions nécessaires, à la jurisprudence pénale française ? Les conséquences sur le délai de prescription varient suivant la notion qu’on se fait du délit en droit canonique.


§ 3 – LA  QUALIFICATION  D’UNE  INFRACTION  ET  SES  CONSÉQUENCES  SUR  LA  PRESCRIPTION


A.  LE  DROIT  FRANÇAIS


La qualification d’une infraction est le choix du texte de loi à appliquer lorsqu’il y a eu un acte contraire à l’ordre juridique. Cette opération est fondamentale, car de celle-ci va découler, s’il y a lieu, le chef de mise en examen pour un crime, un délit ou une contravention. De la qualification de l’infraction découle en effet le type de peine applicable, puisque le crime est l’infraction que la loi sanctionne d’une peine criminelle, que le délit est l’infraction sanctionnée par une peine correctionnelle et que la contravention est l’infraction que la loi sanctionne par une peine contraventionnelle.


De la qualification dépendront aussi les délais de prescription.


Il faut noter qu’à un même fait peuvent correspondre plusieurs qualifications, mais choisir une d’entre elles implique d’exclure toutes les autres (Exemple : des violences ayant entraîné la mort peuvent être qualifiées de meurtre, d’assassinat, d’homicide involontaire etc.). C’est au juge à choisir, en respectant un principe directeur : specialia generalibus derogant, une qualification spéciale s’applique en priorité par rapport à une autre qualification possible mais générale.


La doctrine, toutefois, a inventé le concours idéal d’infractions. Il n’y a qu’un seul fait matériel, une seule infraction réelle, il n’y a donc pas concours réel d’infractions, mais concours idéal, c’est-à-dire formel, théorique : l’action pénale du délinquant présente différents aspects, différents noms, différents degrés de gravité selon les divers textes en concours qui sont tous compétents pour la saisir.


Comme le Nouveau Code Pénal n’a pas prévu l’hypothèse de concours idéal d’infractions, la jurisprudence a dégagé un principe : un même fait ne peut pas entraîner une double déclaration de culpabilité en raison de qualifications différentes. Le juge pénal retiendra alors pour ce fait sa qualification la plus sévère, où la peine maximale applicable est la plus importante.


Il y a cependant une exception à ce principe, c’est dans le cas de pluralité de victimes.


Le juge retient alors toutes les infractions en concours et cela, pour qu’une victime ayant subi une atteinte contraventionnelle puisse se faire indemniser aussi bien qu’une autre victime ayant subi, elle, des atteintes délictuelles, et qui aurait été, dans l’application stricte du principe, la seule à pouvoir être indemnisée en raison de l’atteinte pénale la plus grave.


Ici, toutes les infractions en concours sont retenues pour permettre à toutes les victimes de se constituer partie civile en vue de se faire indemniser de leur préjudice. C’est l’intérêt des victimes qui prévaut ici. Cette exception au principe n’aura en effet aucune incidence sur la condition du délinquant, car il n’y aura qu’une seule peine prononcée : la plus forte dans la limite maximale des infractions en concours, mais elle aura une incidence sur la prescription de ces infractions.


B.  LE  DROIT  CANONIQUE  DU  CODE  DE  1917


1. Le Code pio-bénédictin


Canon 2195 § 1 : « Par délit, en droit ecclésiastique, on entend la violation externe et moralement imputable de la loi, violation à laquelle est attachée une sanction canonique au moins indéterminée ».


(Canon 2195 § 2 : « A moins qu’une autre disposition n’apparaisse dans le contexte des faits, ce qui est dit des délits s’applique à la violation d’un précepte auquel serait annexée une sanction pénale ».)


Canon 2196 : « La qualité du délit est à trouver dans l’objet de la loi ; sa quantité est à trouver non seulement dans la gravité différente de la loi lésée, mais aussi dans la plus ou moins grande imputabilité ou le plus ou moins grand dommage ».


Canon 1933 § 1 : « Les délits qui tombent sous le coup d’un jugement criminel sont des délits publics ».


Canon 1934 : « L’action ou accusation criminelle est réservée au seul promoteur de justice, à l’exclusion de toute autre personne ».


Le code de 1917, on le voit, a une tout autre conception de la qualification des faits que le droit pénal français, même si pour lui « la qualité du délit est à trouver dans l’objet de la loi ». En outre, il emploie indifféremment les mots « crime » et « délit » (cf. c. 1703, 1704, 1705, etc.). Il n’y a pas concours d’infractions ni de pluralité de victimes. De plus la mise en route d’un procès pénal est tout à fait spécifique en droit canonique, comme le développe le cardinal Lega.[5]


2. Le cardinal Lega


Un procès pénal peut être mixte, commençant par une inquisition puis par une accusation.


« L’inquisition est décidée par l’Ordinaire lui-même, qui, à partir d’une simple information de la curie, ou de la renommée publique, ou d’une rumeur, ou d’une dénon-ciation, fait par lui-même ou par un inquisiteur député une enquête pour que soit découvert, dans sa qualité et sa quantité, le crime commis, et par qui celui-ci a été commis ».[6]


C.  LE  CODE  DE  1983


Canon 1717 § 1 : « Chaque fois que l’Ordinaire a connaissance, au moins vraisem-blable, d’un délit, il fera par lui-même ou par une personne idoine, une enquête prudente portant sur les faits, les circonstances et l’imputabilité du délit, à moins que cette enquête ne paraisse totalement superflue ».


Canon 1721 § 1 : « Si l’Ordinaire décrète qu’un procès pénal judiciaire doit être engagé, il transmettra les actes de l’enquête au promoteur de justice qui présentera au juge le libelle d’accusation selon les canons 1502 et 1504 » (c. 1504 : « Le libelle doit indiquer sur quel droit et, au moins de façon générale, sur quels faits et preuves se fonde le demandeur pour établir ce qu’il allègue »).


Conclusion du § 3 : Le droit pénal canonique ne connaît pas la « qualification », au sens qu’elle a en droit pénal français, et donc la question de l’influence de la qualification sur la prescription ne se pose pas en droit canonique.


§ 4 – UN  DÉLIT  NON  PRESCRIT  PEUT-IL  REJAILLIR  SUR  DES  DÉLITS  CONNEXES  PRESCRITS  ET  INTERROMPRE  LEUR  PRESCRIPTION ?


A.  LE  DROIT  FRANÇAIS


La connexion d’infractions n’a, en théorie, rien à voir avec la prescription. C’est un mécanisme procédural qui permet à un juge d’instruction, lorsque plusieurs affaires sont intimement liées, de rassembler les dossiers pour les traiter ensemble.


L’article 203 du Code de procédure pénale donne une liste de cas dans lesquels la connexité peut être retenue. Mais la jurisprudence constante de la Cour de cassation retient depuis 1907 que cette liste n’est pas limitative, et qu’il suffit que le cas soit analogue à l’un de ceux prévus par le texte pour que la connexité puisse être prononcée.


La Cour de Cassation n’a cependant jamais fixé de critères devant être cumula-tivement réunis pour permettre de retenir la connexité. Elle laisse ce soin aux juges du fond, se réservant le contrôle de leur motivation et s’assurant ainsi, suivant les formules habituelles, qu’« il existe entre les faits des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus », ou que « les faits procèdent d’une conception unique », ou encore qu’« il existe une identité de leur objet ou de la communauté de leur résultat ».


Surtout, en ce qui concerne la prescription, la Cour de Cassation retient de manière constante que, lorsque des infractions sont connexes, toute autre qui interrompt la prescription pour l’une a les mêmes conséquences pour toutes les autres.


B.  LE DROIT  CANONIQUE  DU  CODE  DE  1917


1. Le Code pio-bénédictin


Canon 1705 § 3 : « Dans le délit habituel ou continu la prescription ne court pas, sinon après le dernier acte ; et le prévenu, en raison d’un acte criminel non prescrit, est tenu des actes antérieurs qui sont connexes au même acte, même si ces actes pris isolément seraient exclus par suite de la prescription ».


2. Le cardinal Lega


Il peut y avoir connexion de causes et connexion de délits.


a) En ce qui concerne la connexion de causes, « la connexion indique une relation entre des causes qui, distinctes par elles-mêmes, sont concordantes, comme par exemple dans l’objet » […]


« La nature de la connexion se trouve nécessairement dans les éléments qui constituent les controverses judiciaires […] a) les personnes parties au litige ; b) l’action, c’est-à-dire  le titre juridique du litige ; c) l’objet de l’action, c’est-à-dire la chose qui est demandée. Dans l’hypothèse où ces éléments seraient les mêmes dans deux litiges, il n’y aurait pas connexion mais identité. Il y a seulement connexion quand l’un ou l’autre de ces éléments est le même, et il suffit de l’identité de l’un ou de l’autre de ces éléments pour que les deux causes soient dites connexes ».[7]


b) En ce qui concerne la connexion des délits du c. 1705 § 3 CIC 1917, c’est en elle qu’est fondée la continuité des délits. « La nature de la continuité est à chercher dans la délibération de la volonté, ou en d’autres termes dans le propos de violer telle loi par plusieurs actes qui pris séparément et un par un constituent des délits qui, pris isolément, seraient soumis à la prescription. Mais en raison de l’unicité du propos d’où ils émanent ils ont la qualité de délit continué et tombent sous le coup de la loi restrictive du § 3, c’est pourquoi le coupable doit répondre des délits qui autrement seraient prescrits ».[8]


C.  LE  CODE  DE  1983


Le code actuel ne parle que de connexité de causes, et passe sous silence la connexité des délits, ainsi que la définition de la « connexité ».


Canon 1414 : « Au titre de la connexité, les causes connexes peuvent être jugées par un seul et même tribunal et dans un même procès, à moins qu’une disposition de la loi ne s’y oppose ».

Conclusion du § 4 : la règle du c. 1705 § 1 du code ancien, puisqu’elle est une disposition pénale, ne peut pas s’appliquer actuellement, selon la norme du c. 19 : « Si dans un cas déterminé, il n’y a pas de disposition expresse de la loi universelle ou particulière, ni de coutume, la cause, à moins d’être pénale, doit être tranchée en tenant compte des lois portées pour des cas semblables, des principes généraux du droit appliqués avec équité canonique, de la jurisprudence et de la pratique de la Curie Romaine, enfin de l’opinion commune et constante des docteurs ». La restriction « à moins d’être pénale » est pour le moins surprenante !


§ 5 – LES  LENTEURS  DE  L’AUTORITÉ  ECCLÉSIASTIQUE  ET  LA  PRESCRIPTION  QUI  PEUT  EN  RESULTER


A.  LE  DROIT  FRANÇAIS


Les lenteurs de la justice sont bien connues, mais souvent le parquet général explique qu’il n’y a pas « de volonté de retarder quoi que ce soit », et il souligne que les moyens du parquet ne lui permettent pas toujours de respecter les dates-butoir fixées par la loi : « Objectivement, ce délai ne peut pas être respecté à chaque fois ». Que ces lenteurs provoquent parfois la prescription des faits est plus que probable, mais la loi ne dit rien à ce sujet et la jurisprudence semble ne pas avoir abordé le problème.


B.  LE  DROIT  CANONIQUE  DU  CODE  DE  1917


1. Le Code pio-bénédictin


Canon 1625 § 1 : « Les Juges qui, alors qu’ils sont certainement et évidemment compétents […] posent, par suite de négligence coupable ou dol, un acte nul au détriment d’autres, ou un acte injuste […] sont tenus à réparation […] et peuvent être punis de peines proportionnées à la gravité de la faute ».


Il s’agit des juges et non des Ordinaires qui décident l’ouverture d’une enquête et éventuellement celle d’un procès (c. 1942, 1946, 3°).


2. Le cardinal Lega


Dans son commentaire du c. 1625 § 1, le cardinal Lega note simplement qu’il s’agit d’une négligence coupable, d’un dol et d’un dommage injuste.


C.  LE  CODE  DE  1983


Le code actuel ne fait aucune mention des lenteurs éventuelles de l’autorité ecclésiastique qui pourraient entraîner la prescription d’un délit.


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*     *


DEUX  CONCLUSIONS  GÉNÉRALES


I.  LE  PROCÈS  PÉNAL  CANONIQUE  ÉVOQUÉ  AU  DÉBUT  DE  L’EXPOSÉ


Le procès pénal réel, actuellement en 3° instance à la Rote Romaine, qui a été évoqué au début de cet exposé et qui a permis de poser quelques questions sur la prescription, comporte un élément important, volontairement passé sous silence et qui modifie radicalement la solution donnée par le tribunal de 2° instance.


Le prêtre fondateur de la communauté avait entrepris en 2000 une affaire immobilière d’envergure avec l’achat d’un ancien cinéma, qu’il entendait rénover pour son œuvre d’évangélisation. Pour assurer le paiement de l’emprunt bancaire fait à cette occasion, il avait contraint moralement quelques « communautaires » à se porter cautions solidaires devant la banque. L’une de ces personnes, partie dans le procès contentieux joint au procès pénal en question, avait signé cette caution, le 4 avril 2000. Ayant quitté la communauté quelques mois après, démunie de toute ressource et laissée par le prêtre à elle-même et à ses problèmes financiers avec la banque, qui lui enjoignait de payer une somme exorbitante pour elle, elle s’est tournée vers les tribunaux pour obtenir la nullité du cautionnement. Celle-ci a été prononcée par la Cour d’appel le 13 novembre 2004, avec des attendus sévères pour le prêtre.


« Attendu qu’eu égard aux convictions religieuses de Mme R., qui motivaient son engagement dans la vie communautaire M., la menace de l’éviction, sanction de la désobéissance, ainsi que la diabolisation de cette attitude, constituent une violence morale de nature à provoquer la crainte d’un mal suffisamment considérable pour vicier sa volonté de cautionner […] ».


En négligeant le côté psychologique et moral de cette affaire, on peut considérer que le délit d’abus de pouvoir commis par le fondateur de la Communauté, commencé en avril 2000, a pris fin le 13 novembre 2004 avec l’arrêt de la Cour d’appel prononçant la nullité du cautionnement.


Le délai de prescription de ce délit étant de 3 ans, il courait donc jusqu’au 13 novembre 2007. Il a été interrompu par le décret du 7 mars 2005 par lequel l’Ordinaire du lieu a ordonné une enquête préalable, qui a abouti au procès pénal.


En conséquence, dans ce procès pénal, l’action pénale n’était pas prescrite, ni  non plus l’action contentieuse qui y était jointe (cf. § 1. Première question).


En second lieu, le délit d’abus de pouvoir par une contrainte morale exercée par le prêtre en vue d’une caution financière est un délit permanent, au sens où l’entendent la jurisprudence française (une infraction est permanente lorsque ses conséquences se prolongent par la seule force des choses, sans renouvellement de la volonté de son auteur) et le cardinal Lega. La jurisprudence française n’est pas admise en tant que telle en droit canonique, ce qui n’est pas le cas pour le cardinal Lega (cf. § 2. Deuxième question).


De toute façon, ce délit de contrainte morale, qui a permis de s’interroger sur la nature de certains délits (permanent, continu, etc.), n’était pas prescrit au moment où s’ouvrait le procès.


Troisièmement (cf. § 3, Troisième question), la question de l’influence de la quali-fication sur la prescription ne se posant pas en droit canonique, elle est hors sujet dans le procès pénal évoqué.


Quatrièmement, en ce qui concerne la connexion des délits (cf. § 4, Quatrième question), le code actuel ne dit mot, mais dans le cas concret du procès pénal exposé plus haut, il serait contraire à la justice de ne pas appliquer la règle du c. 1705 § 3 CIC 1917 selon laquelle « dans le délit habituel ou continu la prescription ne court pas, sinon après le dernier acte ; et le prévenu, en raison d’un acte criminel non prescrit, est tenu des actes antérieurs qui sont connexes au même acte, même si ces actes pris isolément seraient exclus par suite de la prescription » (cf. § 4, Quatrième question).


Enfin à la dernière question (cf. § 5, Cinquième question) relative aux lenteurs de l’autorité ecclésiastique et à la prescription des délits qui pourrait en résulter, il n’y a pas de réponse dans le code actuel.


Les considérations juridiques qu’ont provoquées les 5 questions posées par un procès pénal canonique réel laissent un sentiment de malaise. Le bon sens est désorienté par ce qui lui semble être des arguties juridiques et la justice de l’Eglise lui paraît largement incompréhensible.


 C’est pourquoi, puisque les fidèles du Christ, aux termes du c. 212 § 3, « selon le savoir, la compétence et le prestige dont ils jouissent, ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise et de le faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs, et en tenant compte de l’utilité commune et de la dignité des personnes », le canoniste soussigné présente à Mgr Coccopalmerio et au Conseil Pontifical pour les textes législatifs un certain nombre de propositions en vue de la réforme annoncée du droit de l’Eglise et en particulier du droit pénal canonique.


II. QUELQUES  PROPOSITIONS POUR LA  RÉFORME  DU  DROIT  PÉNAL  CANONIQUE


« Nul n’est censé ignorer la loi ». Cet aphorisme est faux en raison de la multiplication et de la complexité des lois dans tous les pays, ce qui nécessite des spécialistes pour lire, comprendre et appliquer les normes juridiques étatiques.


Dans l’Eglise catholique d’aujourd’hui, le code de droit canonique – et à plus forte raison sa partie relative au droit pénal – est ignoré par la totalité des fidèles, la quasi-totalité des prêtres, l’immense majorité des évêques. Or le droit pénal canonique, pour ne parler que de lui, doit dicter l’attitude des détenteurs de l’autorité ecclésiastique qui, pour de multiples raisons, ne lisent pas de livres ou de revues (même « Communicationes ») qui pourraient les éclairer et les guider. En fait, les « décideurs » ont besoin d’un code pénal SIMPLE, CLAIR, PRÉCIS, ce qui ne les empêcherait pas, au contraire, de recourir à des spécialistes pour tel ou tel point difficile. Et la rédaction de ce Code est POSSIBLE.


Elle est possible si l’on accepte de refondre totalement le droit pénal du code de 1983, sans évidemment abandonner les principes essentiels, mais en écartant résolument ce que l’héritage des siècles passés laisse de superflu, d’inutile et parfois de non-conforme à la mentalité actuelle dans ce qu’elle a de plus sain.


Elle est possible si sont apportées de nombreuses précisions et réparés de nombreux oublis.


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*     *


En ce qui concerne la prescription en nature pénale, quelques suggestions sont avancées :


1. Un canon du code devrait préciser que la prescription de l’action pénale n’éteint pas l’action contentieuse née du délit et jointe à l’action pénale.


2. Le canon 1362 devrait contenir une définition claire et sans ambiguïté du délit permanent et du délit habituel. Certes, « jus abhorret a definitionibus », et pourtant il y en a beaucoup dans le code en vigueur : cf. canons 10, 29, 48, 49, 59, 76, 85, 94, 100, 113 § 2 etc.


Pourquoi ne pas adopter, par exemple, la définition du délit permanent donnée par la jurisprudence française ?


3. Il faudrait revoir la question de la qualification des infractions en droit pénal canonique. De même qu’en droit français, par exemple, il y a des crimes, des délits, des contraventions, pourquoi ne pas parler en droit canonique de crimes, de délits, d’« infractions simples », avec des sanctions appropriées ?


4. Un canon devrait envisager le cas de la pluralité de victimes.


5. Il serait très utile de clarifier et de préciser la notion de délits connexes.


6. Il conviendrait d’oser aborder la question de la responsabilité des autorités ecclésiastiques dans la lenteur de leurs actions et les risques de prescription des délits qui en résultent.


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Un projet de réforme du Code de Droit canonique sur les questions des délits et des peines a déjà été envoyé à Mgr Coccopalmerio le 18 novembre 2010. Le texte présent sur la prescription dans le procès canonique s’inscrit dans la même ligne, celle d’une contribution désintéressée, apportée de grand cœur à la révision envisagée du Code de Droit canonique.



Jacques Gressier

12 avril 2011


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[1] Rome 1938
[2] Les notes du présent exposé en ce qui concerne le droit pénal français et la prescription doivent beaucoup aux remarquables dictionnaires de droit criminel du Professeur Jean-Paul Doucet (ledroitcriminel.free.fr/dictionnaire.htm), ainsi qu’à l’article de Mélanie Viard sur la qualification (voir Juripole Etudiant) ou à d’autres articles de Jurispedia

[3] LEGA, op. cit., III, 28-29
[4] C. LEGA, op. cit., I, 506-507

[5] C. LEGA, op. cit., p. 156 et suivantes
[6] C. LEGA, op. cit., III, 165

[7] C. LEGA, op. cit., I, p. 75-76
[8]C. LEGA, op. cit., I, p. 507 ; voir plus haut § 2, B, 2, p. 5





LA  PRESCRIPTION  DANS  LE  PROCÈS  PÉNAL  CANONIQUE


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Remarques  et  propositions






La prescription en matière pénale pose de nombreux problèmes, imparfaitement résolus, tant en droit étatique français (pour se borner à notre seul pays) qu’en droit canonique. Or il se trouve qu’un procès pénal canonique, engagé dans un diocèse français et actuellement en 3° instance à la Rote romaine, permet, à partir de faits concrets, de poser des questions fondamentales, de mieux comprendre les principes du droit pénal canonique en la matière et, salva reverentia, de demander à l’autorité compétente de l’Eglise de bien vouloir amender et compléter un certain nombre de règles de son droit pénal.


Il y a quelques années, un prêtre diocésain fonde une communauté de laïcs, surtout composée de femmes, dans un but d’évangélisation par des retraites spirituelles. Bien que son évêque le mette en garde contre certains de ses agissements, le prêtre persévère dans son action. Alors que sa communauté se développe, il exerce sur elle une autorité exagérée, tant dans sa prédication et la direction spirituelle des membres de la communauté, que dans la gestion et le gouvernement matériel de celle-ci.


Certaines « communautaires » s’adressent à l’évêque diocésain, qui ordonne une visite pastorale, dont le résultat est faussé en raison des consignes de silence que donne le prêtre. Le nouvel évêque du diocèse, saisi à son tour de demandes d’intervention, ne prend aucune décision, alléguant qu’il ne peut rien faire.