C E D R E G I


La meilleure traduction de « moderator » n’est pas française. Le moderator du c. 517 est un MANAGER, c’est-à-dire « one in charge of managing an enterprise or business », « to manage » signifiant « to direct or control the affaire or use of ; to organize » (Websters Dictionary). Si l’on préfère ne pas parler franglais, on dira du « moderator », au choix, qu’il est le décideur, le chef, le directeur, le patron, le donneur d’ordres, le chargé de direction. Certains de ces termes ayant une connotation peu ecclésiale, quoique très juste, on optera peut-être pour le dernier cité, c’est-à-dire le « chargé de direction », utilisé tantôt avec l’article défini, tantôt sans cet article, devant le mot direction, celle-ci étant bien entendu la direction de l’exercice de la charge pastorale de la paroisse. 


Par exemple : le Père X, chargé de la direction des paroisses de A, B, C…. Dans le diocèse de Z, les chargés de direction de paroisse se réuniront tel jour… 


Le modérateur est donc le prêtre qui est chargé par l’Evêque diocésain de la direction de l’activité commune des prêtres à qui le même Evêque a confié in solidum la charge pastorale d’une ou de plusieurs paroisses ensemble (Il sera question plus tard, dans une autre étude spécifique, du second rôle du chargé de direction, qui est de répondre de sa mission devant l’Evêque).


* * *


Deux questions se posent maintenant : 


      1.   Le chargé de direction est-il curé de la paroisse ou des paroisses qui lui sont confiées ?


 2.  Comment s’exerce la mission des prêtres à qui l’Evêque a confié in solidum, sous l’autorité du chargé de direction, la charge pastorale d’une ou de plusieurs paroisses ?



__________



 La réponse est négative, pour les raisons suivantes.


 Le code de 1917 déclarait, en son c. 451 § 1, que « le curé est le prêtre ou la personne morale à qui une paroisse est confiée en titre (in titulum) avec la charge d’âmes à exercer sous l’autorité de l’Ordinaire du lieu ». Certains curés étaient préposés à l’administration d’une paroisse en qualité de « recteurs propres » (c. 454 § 1), c’est-à-dire qu’ils avaient un pouvoir de juridiction ordinaire à exercer en leur nom personnel. 


Le code de 1983, en son c. 519, ne fait plus mention du titre de la paroisse mais met en relief pour le curé son caractère de pasteur propre de la paroisse qui lui est confiée : « Le curé est le pasteur propre de la paroisse qui lui est remise, en exerçant, sous l’autorité de l’Evêque diocésain dont il a été appelé à partager le ministère du Christ, la charge pastorale de la communauté qui lui est confiée, afin d’accomplir pour cette communauté les fonctions d’enseigner, de sanctifier et de gouverner, avec la collaboration éventuelle d’autres prêtres ou de diacres, et avec l’aide apportée par des laïcs, selon le droit. » 


Même si plusieurs prêtres collaborent au ministère du curé d’une paroisse, celle-ci n’a qu’un pasteur propre : le curé précisément. Dans la même logique, si la charge pastorale de plusieurs paroisses est confiée solidairement à plusieurs prêtres, aucun d’entre eux n’est le pasteur propre – et donc le curé – de telle ou telle de ces paroisses, même pas le chargé de direction, puisque sa mission s’étend à l’ensemble des paroisses confiées à l’équipe de prêtres dont il fait partie. 


Qu’il ne soit pas curé se vérifie indirectement par la prescription du c. 517 § 2, cité au début de cet article. Au cas où, par manque de prêtres, une participation à l’exercice de la charge pastorale d’une paroisse est confiée par l’Evêque diocésain à un diacre, à une personne qui n’est pas encore prêtre, ou à une communauté de personnes, il est requis la nomination d’un prêtre qui, « muni des pouvoirs et des facultés du curé, sera le modérateur de la charge pastorale ». Ce prêtre, chargé de la direction de l’exercice de la charge pastorale de la paroisse – en bref, chargé de la direction de la paroisse -, a les pouvoirs et les facultés du curé, mais il n’est pas le curé de cette paroisse. 


Tant pour les prêtres de l’équipe in solidum que pour le chargé de direction, il est donc préférable d’abandonner la pratique malheureusement établie de les appeler « curés in solidum ». 


Reste maintenant à préciser comment s’exerce, sous l’autorité du chargé de direction, la mission de ces prêtres « in solidum ». 




L’expression « in solidum » vient du droit romain. Les Romains distinguaient, en ce qui concerne les devoirs des débiteurs vis-à-vis de leurs créanciers, une solidarité parfaite : les débiteurs solvables s’engageaient, ou la loi les y contraignait, à assumer la charge de l’insolvabilité de leurs codébiteurs ; et une solidarité imparfaite, « ayant sa source dans la faute commune : les coauteurs fautifs d’un dommage étaient tenus in solidum, chaque fois qu’il n’était pas possible d’isoler le préjudice causé par chacun d’eux ; chacun ayant concouru à l’entier dommage devait le tout : solidum. » (Mazeaux et de Juglart, Leçons de Droit Civil, tome 2, 1° vol. Obligations, p. 930-954). L’obligation in solidum a été ensuite étendue aux obligations légales, aux quasi-contrats et aux contrats. 


Alors que le Code Civil français réglemente l’obligation solidaire, entre les créanciers (art. 1197) et entre les débiteurs (art. 1200), c’est la jurisprudence française qui a récréé l’obligation in solidum, dans le domaine de la responsabilité délictuelle : cf. par exemple Civ. 3e, 5 déc. 1984 ; JCP 1986, « Chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité, sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n’affecte pas l’étendue de leurs obligations envers la partie lésée. » 


On notera enfin que les juges du fond, en France, emploient souvent l’une pour l’autre les expressions « responsabilité solidaire » et « responsabilité in solidum » et que la Cour de Cassation, lorsque cette erreur de terminologie n’a pas de conséquence sur les effets de l’obligation, évite de la sanctionner par la cassation. 


Ces quelques remarques sur l’obligation solidaire et l’obligation in solidum en droit romain et en droit civil français ne sont pas superflues, car elles permettent de mieux comprendre – même si le droit canonique a son propre vocabulaire et sa spécificité par rapport aux droits étatiques – comment la charge pastorale d’une ou de plusieurs paroisses est confiée in solidum à plusieurs prêtres. Chacun d’eux reçoit cette charge dans sa totalité (solidum) et donc il en assume toutes les obligations et en est doté de toutes les facultés canoniques (c. 543 § 1). Toutefois, d’une part il n’a pas le titre et les fonctions du curé, et d’autre part il agit conjointement avec les autres prêtres nommés in solidum pour la ou les paroisses, sous l’autorité du chargé de la direction de cette ou de ces paroisses (c. 543 § 1). 


Est-ce à dire que l’activité commune de ces prêtres est collégiale ? Le c. 115 § 2 amène à répondre par la négative, puisqu’il prescrit qu’ « un ensemble de personnes, qui doit être constitué d’au moins trois personnes, est collégial si ses membres en déterminent l’action en prenant part en commun aux décisions à prendre à égalité de droit ou non, selon le droit et les statuts ; sinon il est non collégial. » Or, dans une équipe de prêtres in solidum, c’est le chargé de direction qui détermine l’action commune, par les décisions qu’il prend, sans qu’il ait à les soumettre à un vote des autres prêtres, comme le requiert le c. 119, 2° pour les actes collégiaux. Certes le chargé de direction tiendra compte du « règlement » que l’équipe in solidum aura constituée selon la norme du c. 543 § 1, mais loin des contraintes administratives paralysantes, ses meilleurs guides dans son ministère pastoral seront le respect de sa mission, le respect des personnes, le respect du droit de l’Eglise et, il ne faut pas l’oublier, le respect aussi du simple bon sens. 


___________

appel00.pdf
Conception site : pierrezeiher@sfr.fr                                                                                                               Mise à jour  23 mars 2013




LE MODÉRATEUR DE LA CHARGE PASTORALE PAROISSIALE



Canon 517 


§ 1. Là où les circonstances l’exigent, la charge pastorale d’une paroisse ou de plusieurs paroisses ensemble peut être confiée solidairement (in solidum) à plusieurs prêtres, à la condition cependant que l’un d’eux soit le


 MODÉRATEUR DE L’EXERCICE DE LA CHARGE PASTORALE,


 c’est-à-dire qu’il dirigera (qui […] dirigat) l’activité commune et en répondra devant l’Evêque.


§ 2. Si, à cause de la pénurie de prêtres, l’Évêque diocésain estime qu’une participation à l’exercice de la charge pastorale d’une paroisse doit être confiée à un diacre ou à une autre personne non revêtue du caractère sacerdotal, ou encore à une communauté de personnes, il constituera un prêtre qui, muni des pouvoirs et des facultés du curé, sera le MODÉRATEUR DE LA CHARGE PASTORALE.


Mission du modérateur 


Traduire le terme latin « moderator » par le mot français « modérateur » aboutit, plus qu’à un contre-sens, à un non-sens. En français, celui ou ce qui est modérateur est « (une) personne, (ou une) chose qui tend par son action ou ses effets à modérer ce qui est excessif, à concilier les partis opposés » (Petit Robert). Or le modérateur du c. 517, loin d’être un temporisateur, un conciliateur d’opinions opposées, est celui qui a la mission de diriger l’activité commune des prêtres à qui l’Evêque diocésain a confié in solidum la charge pastorale d’une ou de plusieurs paroisses.